EMPIRE. Napoléon vient de signer là son chef-d’œuvre tactique, une manœuvre éclatante où s’est illustrée la bravoure des fantassins français… mais aussi celle d’un chien, Moustache.
Cintré dans son bel uniforme, le maréchal Lannes passe en revue les grognards du 40 e régiment, au garde-à-vous. Quelques jours plus tôt, le 2 décembre 1805, l’armée impériale a écrasé les troupes austro-russes à Austerlitz (République tchèque actuelle). Napoléon vient de signer là son chef-d’œuvre tactique, une manœuvre éclatante où s’est illustrée la bravoure des fantassins français… mais aussi celle d’un chien, Moustache. Et c’est bien vers l’imposant barbet, mascotte des grenadiers du 40 e de ligne, que le maréchal s’avance, plus solennel que jamais. Il se penche et lui passe autour du cou un collier surmonté d’une médaille où il est inscrit : « Moustache, chien français. Qu’il soit toujours respecté comme un brave. »
C’est sur l’autre face que l’on mesure son exploit, gravé sur l’argent : « A la bataille d’Austerlitz, il eut la patte cassée en sauvant le drapeau de son régiment. » L’intrépide barbet s’était en effet jeté dans la mêlée, malgré les baïonnettes et la mitraille, fonçant sur le cadavre du porte-drapeau. Aboyant furieusement, Moustache avait empêché les Russes de se saisir de l’étendard frappé de l’aigle. Les soldats avaient retrouvé leur mascotte à poils quelques heures plus tard, étendue sur le flan, la patte brisée par une balle… mais la hampe du drapeau toujours coincée dans sa gueule.
Le voilà désormais boitillant mais célèbre et adulé. Quel destin pour ce gros cabot à l’air bonasse, « adopté » en 1799 par une compagnie de grenadiers ! Alors qu’il vagabonde dans les rues de Caen, le gros chiot est happé par le son du tambour. M me Radis, sa cantinière de maîtresse, peut lui dire adieu : « Moustache » — baptisé ainsi à cause de ses poils longs et broussailleux — ne quitte plus la troupe d’élite, monte la garde devant leur caserne et finit les fonds de marmite… Très vite, le barbet se fait remarquer par son intelligence et son flair époustouflant.
Quand Napoléon lance sa deuxième campagne d’Italie au printemps 1800, il est évidemment du « voyage ». Toujours en tête de colonne, jappant fièrement, il passe les Alpes par le Grand-Saint-Bernard, puis descend vers la plaine du Pô. Son baptême du feu — et son premier coup d’éclat — a lieu le 13 juin, veille du triomphe de Marengo. Dans la nuit, sa brigade manque d’être surprise par un détachement autrichien, mais Moustache, qui fait les cent pattes, veille au grain. En quelques aboiements féroces, il débusque une sentinelle qui espionne le camp français. Dans l’escarmouche qui s’ensuit, le chien reçoit un coup de baïonnette à la cuisse, mais l’incursion ennemie est repoussée ! La mascotte sera citée à l’ordre du jour pour sa « valeureuse action », et se voit récompensée d’un rab de gamelle quotidienne, et… d’un coup de peigne hebdomadaire !
Pendant dix ans, l’héroïque quadrupède continuera à écumer les champs de bataille européens, d’Iéna (1806) à Saragosse (1809) en passant par Friedland (1807). Agé de 12 ans, le vétéran est un peu moins vaillant quand il prend part au siège de Badajoz, dans le sud-ouest de l’Espagne, début 1811. Le 11 mars, il est emporté par un boulet de canon alors qu’il arpente les remparts de la ville. Il sera enterré peu après au bord du fleuve Guadiana, avec sa médaille et tous les honneurs militaires. Ce jour-là, on vit pleurer ses vieux compagnons d’armes.