[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] Redécouvrez l'histoire de ces enfants réunionnais arrachés à leur histoire parce que quelques hommes politiques français et des fonctionnaires zélés craignaient la démographie galopante sur l'île. Aucune plainte n'a débouché à ce jour mais un rapport d'experts comble une mémoire à trous.
Entre 1962 et 1984, plus de deux mille enfants ont été arrachées à leur histoire, envoyés de force dans la Creuse, alors qu'ils étaient nés sur l'île de La Réunion. Cette pratique a continué jusque tard dans le XXe siècle puisque c'est seulement sous François Mitterrand qu'on suspendra enfin ce transfert. Entre temps, 2150 mineurs réunionnais ont été répartis dans quatre-vingt trois départements français.(...)
A l'époque où sortait son livre au Seuil, Ivan Jablonka éclairait cette pratique ancienne et son contexte :
A ce jour, aucune démarche liée à cette histoire n'a débouché, souvent pour des raison de délais de presciption.Lire l'article
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Dernière édition par Lydie le Ven 25 Oct - 10:29, édité 1 fois (Raison : Pour éviter le plagiat j'ai refais le post ! Merci)
Annette Szwarcberg et sa soeur sauvées de la mort.
Annette Szwarcberg est née en 1939. En 1942, elle fut envoyée en Creuse avec sa soeur car elles étaient menacées à Paris. Elles furent cachées par une famille de paysans, à La Chaise-Gonot, un village de la commune de Fresselines, dans le nord du département. Elles vivent aujourd'hui aux Etats-Unis où elles se sont installées et mariées après guerre.
En 1991, après avoir assisté à une rencontre sur les enfants cachés à New-York, Annette Thau a éprouvé le besoin de raconter ses douloureux souvenirs.
Le témoignage que nous rapportons ici est la traduction d'un article paru en anglais, dans le magasine Three Generations Speak. Annette Thau y fait le récit de son séjour en Creuse durant la guerre.
Une grande difficulté pour raconter.
" J'ai assisté à quelques manifestations, sur les enfants cachés, qui se sont tenues dans le comté de Bergen et, là, j'ai découvert l'atelier d'écriture de l'Ecole de Moriah. J'avais eu l'idée d'écrire un récit sur la guerre depuis longtemps mais je ne m'y étais pas vraiment mise. J'ai pensé que l'atelier de Moriah pouvait me donner l'énergie nécessaire pour prendre du papier. C'est ce qui s'est produit. Je suis encore très partagée par rapport à cette expérience. Je veux la vivre mais, en même temps, je la refuse. J'ai trouvé très éprouvant d'écrire ce morceau. J'ai du mal à penser à moi enfant et à mes parents morts, tous deux, sans tristesse ni larmes. J'aimerais, à la fois, continuer et terminer le morceau que j'ai commencé. "
L'état d'esprit de sa famille après la guerre.
" Je n'arrive pas à me souvenir d'un moment où je n'avais pas connaissance de l'holocauste. Il est attaché de façon inextricable à mes plus lointains souvenirs d'enfant et plus tard partie intégrante de ma vie. Un grand nombre d'amis rencontrés aux Etats-Unis étaient également des survivants et ils parlaient souvent de la guerre. J'ai grandi au milieu de récits d'horreur. Un couple qu'ils connaissaient s'était connu à Auschwitz où la femme avait mis au monde un enfant. Ils avaient tué leur bébé de leurs propres mains pour éviter à tous trois une mort certaine.
Grandir dans la maison de mes parents fut difficile. Ma mère était une femme malheureuse qui pleurait constamment sur sa famille disparue. Curieusement, mon père ne parlait jamais de sa famille à Varsovie. Mais il était obsédé par la guerre et avait réuni une énorme collection à ce sujet. Il parlait constamment de la guerre et des expériences de notre famille.
Pendant des années, je pensais à ma vie comme à un souvenir lointain. C'était vraiment difficile pour moi de classer les différents événements échoués dans ma mémoire. Une chose est certaine : je n'étais qu'une enfant quand la guerre s'est terminée
Ses souvenirs de Creuse durant la guerre
" Mes souvenirs sont, pour la plupart, liés à un endroit particulier : le village de Creuse où j'ai passé les trois dernières années de la guerre et, plus tard, mes vacances d'enfant. Finalement, en raison de la façon dont j'ai été élevée, la chronologie des événements de l'époque est confuse dans mon esprit. J'ai du mal à faire la distinction entre ce que mes parents m'ont raconté et ce dont je me souviens réellement.
Les souvenirs les plus vivaces sont ceux du village et de la vie que j'y ai eue étant enfant. De façon curieuse, ils sont, pour moi, des souvenirs heureux. La Creuse était alors une région pauvre et arriérée. Je me rappelle la maison de René et Lucienne Pinet, cette famille de paysans qui me cachèrent ainsi que ma sœur pendant trois ans. C'était une maison de pierre avec une pièce unique, une grande cheminée et un toit de tuiles rouges. L'étable avec les vaches faisait partie de la maison. Il n'y avait aucun sanitaire : nous allions dans les champs. La cheminée et un poêle à bois étaient les seules sources de chaleur en hiver. Il n'y avait ni électricité ni bougie mais des lampes à pétrole. Le seul point d'eau était le puits où nous tirions l'eau en remontant le seau à la main. La famille Pinet produisait tout ce que nous mangions. Ils cultivaient la terre avec une charrue. Les vaches donnaient le lait, les poules les œufs. J'ai appris à filer la laine avec une quenouille après la tonte des moutons, à faire le beurre et la crème avec une baratte.
Cependant, quand je pense à ce lieu, je me sens envahie par un sentiment de bonheur et de grande beauté. Des scènes indélébiles sont restées gravées en moi. Je me souviens des jours d'été quand on coupait le blé. C'était mon travail de glaner et lier les chaumes (…).
A la moisson, tout le village s'activait à la batteuse. Un villageois, André Fauconnier, jouait du violon, on dansait, on festoyait. A Noël, un autre villageois m'avait fait cadeau d'une paire de sabots sculptés d'une rose. "
La rafle du Vel d'Hiv'
" Plus tard, dans ma vie, la guerre semblait s'être évanouie de moi. Je n'y pensais plus, exceptées les occasions où nous retournions en France voir la famille Pinet mais, d'une certaine manière, la guerre n'était jamais loin de moi. Un incident relaté dans un documentaire français "Le chagrin et la pitié" me l'a remise en mémoire. Un des narrateurs du film évoque une pratique, peu connue dans les années 1942-1943, qui était en cours à Paris. Les nazis demandaient à la police française de les aider à trouver les enfants juifs. Ils les emmenèrent dans un grand gymnase, le Vel d'Hiv, et les gardèrent trois jours sans nourriture. Les enfants terrifiés furent mis dans des wagons à bestiaux et expédiés à Auschwitz. Aucun ne survécut.
Je ne savais pas cela ou peut-être l'avais-je oublié. Pourtant, quand j'ai vu le film, j'ai réalisé combien j'avais eu de la chance. Si mon père ne m'avait pas emmené hors de Paris, si la famille Pinet ne m'avait pas cachée, j'aurais été un de ces enfants et serais depuis longtemps : cendres et fumée. "
Lettre d'Annette Thau à un ami rencontré pendant la guerre :
En 1969, la révolte couve au foyer de Guéret. Pour arrondir les angles, on nomme à sa tête un Réunionnais, Alix Hoair. Cet enseignant de Saint-Benoît est venu soigner sa tuberculose dans un sanatorium de la Creuse et a épousé l’infirmière qui l’a guéri. «Le premier jour, raconte-t-il, je vois arriver un paysan qui me dit: "Je veux un petit Noir. Ça bosse, ça prend un repas par jour, ça couche dans la paille et ça se chausse de sabots."» Le nouveau directeur prend vite la mesure de la situation. Enfants en âge scolaire non scolarisés. Petits commis fermiers et apprentis non payés. «Je le dis à haute et intelligible voix, témoigne aujourd’hui ce fonctionnaire de 75ans à la retraite. Ils étaient tous à la même enseigne, qui était celle de l’esclavage.» Il découvre que la plupart sont là depuis bientôt cinq ans, et qu’ils ne sont jamais retournés à la Réunion. Il écrit à Michel Debré, alors ministre de la Défense et toujours député de l’île, pour lui demander d’affréter un avion militaire. Fin de non-recevoir. Il flaire la supercherie: il n’y aura jamais de billet de retour.
«Ça m’a fusillé, raconte Jean-Pierre. Je dormais dans les granges, sur la paille. Je cassais la glace dans l’abreuvoir pour me débarbouiller. Quand je coupais les choux ou les ronces, mes doigts étaient raides. Une fois on m’a emmené à l’hôpital, les mains et les pieds gelés. Chez le quatrième agriculteur où on m’a placé, je pouvais enfin me réchauffer les mains sur une ampoule électrique.» Et José: «Pas de chaussettes dans mes sabots pour marcher dans la neige. Une simple chemise et des culottes courtes.»
Bonjour l'accueil en Creuse! On leur avait promis les sports d'hiver!
Les familles d’accueil, qui touchent une subvention de la Ddass pour recevoir ces petits «orphelins» dont les parents attendent en vain le retour, trouvent normal de leur faire garder les moutons, nettoyer la porcherie, nourrir les bêtes, soulever le foin, couper le bois, manier la faux, la serpe et le râteau, et ce, sans un sou d’argent de poche. Tandis que leurs propres enfants vont à l’école en ville, ils exploitent à la ferme une main-d’œuvre gratuite et corvéable à merci. Déracinés, largués, sans soutiens ni repères, les petits exilés dépérissent. «Arrachez un bananier à la Réunion et essayez de le faire pousser dans la Creuse!», s’insurge Jean-Philippe. Loin de leurs familles, de leur langue, de leur nourriture, de leur soleil, certains perdent la boule. Ils parlent aux arbres en créole, aux moutons, aux photos dans les cimetières. Ou bien ils s’enfuient dans les bois jusqu’à ce que la faim les ramène, ou les gendarmes. L’exil forcé fait des ravages. Séjours en hôpital psychiatrique, tentatives de suicide. Jean-Pierre essaie de se pendre à une branche avec une chaîne de vache, puis de s’ouvrir les veines. Il est sauvé in extremis. D’autres ne se rateront pas.
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cry baby
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