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Quand Xavier Niel fait fouiller l'ordinateur d'un universitaire
Créé le 13-02-2013 à 15h29 - Mis à jour à 16h48
Odile Benyahia-Kouider
Par Odile Benyahia-Kouider
INFO OBS. Après les journalistes, le patron de Free s'en prend à un prof d'économie, auteur d'une étude qui lui déplaît. Avec des méthodes surprenantes…
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] Xavier Niel, le patron de Free et actionnaire du journal "Le Monde". (WITT/SIPA)
En acquérant un tiers du capital du "Monde", on pouvait espérer que Xavier Niel, le patron de Free, coutumier des procès en diffamation, allait calmer ses ardeurs procédurières. Mais pas du tout ! Depuis qu'il a lancé son offre mobile à prix réduit, en janvier 2012, "Citizen Free" a recommencé à dégainer ses plaintes. Contre les journalistes, mais aussi contre... les universitaires !
Il est 7 heures du matin, le 17 décembre 2012, quand Bruno Deffains, professeur d'économie à l'université de Paris-II Panthéon-Assas, voit débarquer à son domicile de Nancy un huissier et un expert accompagnés de deux policiers. Durant deux heures, ces messieurs passent l'ordinateur de l'universitaire au crible et copient des e¬mails et des fichiers, qui ont été placés sous séquestre. Le professeur d'économie est sous le coup d'une action en justice pour dénigrement.
"Sommations interpellatives"
La raison de cette descente ? Xavier Niel n'a pas digéré son article intitulé "Free : quand l'idéologie de la concurrence dessert l'économie", publié dans "les Echos" du 11 juin. Bruno Deffains y résume les conclusions de son étude sur l'impact de l'arrivée du nouvel opérateur dans la téléphonie mobile, en janvier 2012. Selon lui, la baisse totale du chiffre d'affaires dans le secteur des télécoms mobiles (opérateurs, équipementiers, etc.) provoquée par le lancement de Free Mobile - qu'il estime à 6,5 milliards d'euros - va y provoquer la destruction nette de 55.000 emplois dans les deux années suivantes. […]
Forts mécontents, Xavier Niel et Maxime Lombardini, directeur général d'Iliad (la maison mère de Free), lancent, à partir du mois de juillet, une série de "sommations interpellatives".
Salir l'image de Free ?
A cinq reprises, un huissier se rend à Nancy, au domicile de l'enseignant, et à Paris, dans les locaux de la faculté, pour lui poser des questions. Car les dirigeants de Free sont persuadés que Bruno Deffains n'a pas eu "spontanément l'idée de la rédaction du rapport", mais qu'il lui a été "commandé par un tiers". Autrement dit, un concurrent cherchant à salir l'image de Free.
Ils accusent Deffains de manquer d'impartialité […]. "Je n'ai pas été payé pour faire cette étude, affirme Bruno Deffains au "Nouvel Observateur". Je l'ai faite dans le cadre de mes recherches universitaires."
Les huissiers cherchent "SFR" et "Orange" dans le disque dur
Ne parvenant pas à obtenir les aveux de l'économiste, Free Mobile a demandé au tribunal de grande instance (TGI) de Paris d'avoir accès à son ordinateur en vue d'engager une procédure pour dénigrement. Ce que le juge, de manière fort surprenante, a accepté.
Dans cette affaire, il y a une double instrumentalisation de la justice, estime Me Thibault de Montbrial, avocat du défendeur. D'abord, il y a une tentative d'intimidation et d'isolement de Bruno Deffains, qui vise à limiter ses interventions dans le débat public. Et puis cette saisie informatique non contradictoire permet à Free de mettre la main sur des documents confidentiels concernant ses concurrents !"
Lors de la visite surprise du 17 décembre, l'universitaire a observé que l'huissier et l'expert informaticien avaient saisi, dans le moteur de recherche de son ordinateur, des mots-clés qui avaient été expressément exclus par le juge des requêtes comme "Orange" ou "SFR".
Estimant l'instruction disproportionnée et entachée d'irrégularités, l'universitaire et son conseil ont demandé la rétractation de l'ordonnance et la destruction des fichiers saisis. La décision sera rendue le 1er mars. […]
Interrogé sur le sens de cette procédure envers un enseignant-chercheur, Niel, qui invoque la nécessaire "transparence des débats" et le "respect du droit", a préféré se retrancher derrière le "off". Son avocate, Me Mathilde Guérin-Surville, n'a pas non plus souhaité nous répondre. [...]
Odile Benyahia-Kouider - Le Nouvel Observateur