Astrophysicien, écologiste, vulgarisateur, homme de médias, Hubert Reeves a plusieurs casquettes mais toujours la tête dans les étoiles et les pieds sur terre. Après avoir débuté sa vie professionnelle comme expert en physique nucléaire, il est devenu un opposant aux armes et à l’énergie atomique. Directeur de recherches au CNRS, il reste celui qui a su nous éclairer sur les phénomènes astronomiques. [Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]
Si les éclipses totales du soleil sont devenues banales en astronomie, elles continuent de fasciner Hubert Reeves, l’un des plus éminents astrophysiciens contemporain. Il dit à ce propos : « Tous ces phénomènes qui impressionnaient tant nos ancêtres m’impressionnent tout autant, même si nous avons le grand avantage sur les hommes préhistoriques d’en connaître l’explication. La science et l’émotion du spectacle ne se concurrencent pas ». Pour Hubert Reeves, l’émotion esthétique s’ajoute à la connaissance scientifique du phénomène. La science se teinte alors de poésie.
La France, sa seconde patrie
Hubert Reeves est né en 1932 à Montréal au Québec. Dès ses premières années, il ressent une attirance pour les sciences, qu’il développe au cours de sa scolarité chez les jésuites. Sa passion? Les atomes. Après une maîtrise de physique, il devient docteur en astrophysique nucléaire en 1960. Après sa sortie de l’université, Hubert Reeves travaille un temps pour l’Agence spatiale américaine, la Nasa.
Mais, au milieu des années soixante, la France, via le CNRS, lui tend les bras. Il quitte la belle province pour la France et devient directeur de recherches au Centre national de recherche scientifique tandis que l’Institut d’astrophysique de Meudon le recrute comme enseignant. Sa quête effrénée de savoir ne lui suffit plus. Il veut en faire profiter le plus grand nombre. A cette époque, la spécialité d’Hubert Reeves est la nucléosynthèse primordiale, les quelques minutes qui ont suivi le big bang et pendant lesquelles les premiers éléments de matière ont été formés. Si aujourd’hui, il fait profiter le plus grand nombre de son savoir et de son talent de pédagogue, il a d’abord enseigné à un public pointu. La plupart des thésards français, les spécialistes actuels des galaxies, du fonctionnement du cosmos de la formation de l’univers ont suivi son enseignement.
A la fin des années 60, Hubert Reeves commence à consacrer du temps à la vulgarisation scientifique. Depuis, il a écrit une quinzaine d’ouvrages qui touchent à la compréhension du monde qui nous entoure. Ses principaux livres : Poussières d’étoiles (1984) et Sommes-nous seuls dans l’univers ? (2000), remportent un énorme succès. Hubert Reeves ne se limite pas à l’écrit. Il met en scène des spectacles scientifiques et parcourt les continents pour donner des conférences avec un succès jamais démenti. Il devient une «bête de télé».
Vidéo : Hubert Reeves lors de son passage à Apostropohes en octobre 1981
Terrien avant tout
Sage, savant, bon génie... Des sphères éthérées de l’espace, Hubert Reeves redescend vite sur Terre. Il a le sens des médias et de la formule. Grâce à lui, le grand public a pu appréhender le concept d’année-lumière, gigantesque et négligeable. Car le savant parvient à rendre tangible dix mille milliards de kilomètres à l’aide d’un double-décimètre. Hubert Reeves consacre aujourd’hui un tiers de son temps à partager «sa science» avec une réelle joie.
Pour s’en convaincre, il suffit d’assister à l’une de ses nombreuses conférences. L’astrophysicien est un «show-man» efficace, une «bête de scène». Mais il n’est pas, pour l’astrophysicien Jean Audouze qui l’a connu dans le quotidien des labos, lorsqu’il accomplissait sa thèse sous sa direction, le personnage qu’il paraît être aujourd’hui. A propos d’Hubert Reeves, il déclare : « L’image du bon savant barbu, “baba cool”, est très éloignée de celle que je me suis forgée à son contact, celle d’un scientifique légitimement ambitieux et préoccupé de sa carrière. Cet écart entre son portrait public et ce qu’il est réellement me gêne quelque peu ».
Néanmoins, Hubert Reeves a réussi ce qu’aucun scientifique avant lui n’était parvenu à réaliser : hypnotiser les foules en leur parlant d’astrophysique, d’étoiles, mais surtout et finalement, de nous. C’est cela le secret ! Lors de ses conférences, il est en phase avec son auditoire, plaisante et ne quitte jamais la salle sans dédicacer ses ouvrages. Aujourd’hui, avec la même passion et fort de l’attention qu’on lui porte, Hubert Reeves investit le domaine de l’environnement. Vidéo : Hubert Reeves, conteur d’étoiles
Des marécages au cosmos
Hubert Reeves, l’expert des premiers instants de l’Univers, le père spirituel de plusieurs générations d’astrophysiciens et d’astronomes, nous amène aujourd’hui à considérer sa seconde passion : l’écologie. Il explique cela par le biais de ce qui captait son attention lorsqu’il était enfant : « De jour, c’était le foisonnement de la vie dans les marécages. De nuit, c’était le foisonnement d’étoiles dans le ciel. Il y a urgence à connaître et préserver ces richesses. Aujourd’hui, le ciel souffre de trop d’éclairages urbains et les marécages disparaissent. Il ne s’agit pas de nostalgie. Il s’agit de constats qui doivent alerter sur les comportements humains qui engendrent de telles situations.»
Outre sa passion pour le cosmos, il s’engage de plus en plus régulièrement pour la défense de la nature. Depuis 2001, il préside la ligue ROC pour la préservation de la faune sauvage et la défense des non-chasseurs, association française reconnue d’utilité publique. Il est membre de Terre d’avenir et de France Nature Environnement.
Il est loin le temps où le jeune physicien canadien croyait aux bienfaits de la course au nucléaire. « Je me suis trompé, explique-t-il. Aujourd’hui, je pense que c’est la mauvaise solution ». Depuis cette prise de conscience, le chercheur s’est transformé en agitateur et prône des changements radicaux dans notre manière de vivre, à la manière d’un Nicolas Hulot. Selon lui, «on s’achemine vers une crise» inévitable si des efforts massifs ne sont pas effectués. Pour les experts, nous serions même entrés dans la «sixième phase d’extinction massive des espèces». L’humanité joue un triple rôle dans cette extinction : elle en est responsable ; elle en est une victime potentielle, et elle peut aussi en être le sauveur possible. Mais l’astrophysicien se défend de tout catastrophisme : «Il ne s’agit pas de dire ce qui va se passer mais ce qui pourrait se passer si nous continuons comme nous le faisons actuellement.»
Vidéo : Hubert Reeves « nous sommes dans la sixième extinction de masse »
Tout n’est pas si noir dans son discours. Il se félicite de « la prise de conscience de plus en plus puissante » qui agite la société. Mais nous devrions suivre l’exemple de certains de nos voisins. «Le Danemark ou l’Espagne espèrent produire 10 à 15 % de ce dont ils ont besoin grâce aux énergies renouvelables, insiste-t-il. Je ne crois pas qu’il faille renouveler le parc nucléaire français. Nous devons absolument nous tourner vers l’éolien, le photovoltaïque ou la biomasse.»
Mais le chercheur qu’il n’a jamais cessé d’être a conscience de l’ampleur de la tâche. Il sait que les technologies actuelles ne suffiront pas et qu’il faudra se montrer inventif pour relever le défi, si les hommes veulent préserver l’avenir de leurs enfants.
Une âme de poète
Hubert Reeves revendique le droit à la poésie, celle que lui inspirent ses «compagnons végétaux», des arbres somptueux qui peuplent le jardin de sa propriété transformé en arboretum. «Ce qui fait ma joie, ce sont les sept frères libanais que j’ai plantés moi-même, sur lesquels j’ai veillé : sept cèdres magnifiques de plus de vingt mètres de haut. Je suis lilliputien à côté d’eux. Penser que cette réalité d’aujourd’hui était incluse dans les si petites graines que j’ai fait germer m’émerveille toujours. Quand je m’éloigne d’eux trop longtemps, j’ai hâte de les revoir. Leur force m’est communicative. Ils m’aident à me motiver pour les forêts de la Terre, pour les oiseaux du monde, pour mes petits-enfants, tous les Terriens de demain.»
Avec les étoiles, l’écologie, la musique tient également une place importante dans la vie du scientifique. On retrouve Hubert Reeves conteur pour plusieurs œuvres, notamment Pierre et le loup de Prokofiev qu’il connaît par cœur ou Le carnaval des animaux de Saint- Saëns. «Je suis impliqué dans un projet musical en tant que récitant. Nous préparons un spectacle intitulé Mozart et les étoiles où l’on intercale des causeries sur les rapports entre la musique et la cosmologie.» Hubert Reeves dit que la musique tiendrait encore plus de place «s’il n’y avait ces périls écologiques». Et il ajoute : «La musique, cet art majeur est avec tous les arts et la science, une spécificité que les humains ont développée plus que toute autre espèce. Cela donne ses lettres de noblesse à l’humanité.»
Vidéo : Mozart et les étoiles
Mal de terre
Hubert Reeves est aujourd’hui une des voix les plus écoutées de la défense de l’environnement, saluant l’entrée de l’écologie dans la campagne présidentielle sous l’impulsion de Nicolas Hulot. La Ligue ROC, dont il est le président, après avoir été le rassemblement des opposants à la chasse, étend désormais son action à la préservation de la biodiversité. « Il faut proposer des pistes pour changer de cap», déclare-t-il. «Je me suis informé, je suis accablé au vu des constats des scientifiques dans leurs spécialités... Mais j’ai aussi pris connaissances de résultats encourageants. J’ai vu que beaucoup de personnes semblent se complaire dans la dénonciation. Mais j’ai choisi le camp de celles qui ont des propositions.»
Pour Hubert Reeves, «il ne peut y avoir d’avenir décent pour l’humanité qu’avec l’économie, le social et l’environnement traités à part égale» et de conclure : «En fait, nous allons savoir vite si nous savons nous montrer intelligents.» Avec un tel professeur, nous pourrions y parvenir.
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