La décision du Japon de nationaliser des îles convoitées par la Chine a provoqué, lundi 17 et mardi 18 septembre, de violentes manifestations à Pékin.
En Chine, des usines détenues par des groupes japonais ont été fermées, par précaution.
Le sentiment anti-japonais des Chinois est entretenu par les autorités
Drôles de vacances pour Sotaro : fraîchement diplômé, ce jeune Japonais avait décidé de passer une semaine à Pékin. Au final, il sera resté la plupart du temps dans sa chambre d’hôtel. Mardi 18 septembre, sur les conseils de ses amis chinois, Sotaro a même fait des provisions pour s’y enfermer toute la journée. La date du 18 septembre, qui commémore l’incident de Moukden, revêt en effet cette année une signification particulière. Le contentieux qui oppose depuis des années la Chine et le Japon à propos d’îlots contestés est monté en puissance ces dernières semaines, entraînant une poussée nationaliste en Chine.
FERMETURE DES BOUTIQUES JAPONAISES En prévision de la journée du 18 septembre, de nombreux commerces ayant un rapport quelconque avec le Japon avaient provisoirement fermé boutique. Ils sont de façon aléatoire la cible d’actes de vandalisme. Dans le centre-ville de Pékin, le magasin de vêtements Uniqlo a recouvert son logo d’un drap rouge, alors que les employés de Panasonic ont profité d’un jour de congé inopiné. Les trois principaux constructeurs automobiles japonais, Toyota, Nissan et Honda, ont également suspendu hier la totalité ou une partie de leur production en Chine. « La police nous a téléphoné lundi soir pour nous conseiller de ne pas ouvrir mardi, explique Zhou Ning, propriétaire d’un restaurant japonais à Pékin. Nous avons donc décidé de fermer, même si cela est irrationnel : nous sommes Chinois et nous n’avons rien à voir là-dedans ! »
NATIONALISME En guise de commémoration de l’incident de Moukden, des rassemblements nationalistes – autorisés par le Parti – ont eu lieu dans une cinquantaine de villes à travers le pays pour revendiquer l’appartenance des îles Diaoyu (Senkaku en japonais) à la Chine. « Les îles Diaoyu appartiennent à la Chine ! », « écrasons les nains japonais ! », criaient à Pékin plusieurs milliers de manifestants rassemblés devant l’ambassade du Japon, sous l’encadrement d’importantes forces de police. « Mao, tu nous manques ! », lançait encore la foule en agitant le drapeau national et d’innombrables portraits du fondateur de la République populaire. « Faire référence à Mao est une façon d’exprimer un mécontentement contre les leaders actuels dont l’attitude est jugée trop molle, analyse Xu Tiebing, professeur de relations internationales à l’Université de communication de Pékin. Ils sont influencés par la propagande et pensent que Mao Zedong était ferme sur ces sujets, alors que c’est tout le contraire : il a toujours pratiqué le compromis et la négociation. » À quelques semaines du 18e congrès du Parti communiste chinois, qui marquera la fin du règne du président Hu Jintao et de son équipe, le gouvernement est sur le fil du rasoir. D’un côté, ces événements lui permettent de détourner l’attention populaire de ses problèmes politiques internes et de canaliser les mécontentements. De ce point de vue, le choix du 18 septembre pour le procès de Wang Lijun (l’ex-bras droit de Bo Xilai qui avait provoqué une crise politique en se rendant au consulat sensible.
DES DÉBORDEMENTS « Dans la plupart des cas, la situation est sous contrôle. Mais dans une dizaine de villes, il y a eu des débordements imprévus et violents, rappelle Xu Tiebing. Aujourd’hui, la société chinoise s’est réveillée et l’opinion publique a besoin de canaux d’expression. Les dirigeants ne peuvent pas l’ignorer, mais en même temps ils doivent trouver un moyen de contenir les comportements extrêmes. » En laissant libre cours aux pulsions nationalistes, le gouvernement chinois sait bien qu’il remporte l’adhésion d’une grande partie de la population. Le souvenir de l’occupation du pays et des actes inhumains commis par le Japon sur son territoire jusqu’en 1945 est encore vif dans les mémoires.
Pour autant, les manifestations et autres actes nationalistes de ces derniers jours sont loin de rencontrer un soutien unanime sur le Net chinois. « Nous devons aimer notre pays de façon rationnelle et nous opposer à la violence. Le vandalisme fait plus de mal que de bien à la Chine », écrit un internaute dans un tweet qui a beaucoup circulé. D’autres mettent en garde contre un retour aux pratiques de la « révolution culturelle ». « Rien de neuf sous le soleil. La mémoire des Chinois s’est arrêtée il y a trente ans », ironise un dénommé Xu Xing sur le réseau social Weibo. Pour l’heure, alors que le secrétaire américain à la défense, en visite dans la région, a rappelé l’obligation de défense mutuelle qui lie les États-Unis au Japon, un millier de bateaux de pêche et 11 navires gouvernementaux chinois sont arrivés hier à proximité des îles. -------------------------------------------------------------------- IL Y A QUATRE-VINGT-UN ANS, « L’INCIDENT DE MOUKDEN » En 1931, le Japon avait déjà une forte influence dans le nord de la Chine, surtout en Mandchourie. Il avait déjà colonisé la Corée en 1910 et craignait de voir la Chine, éclatée en plusieurs grandes régions sous l’égide des « seigneurs de la guerre », s’unifier avec le Kuomintang – les nationalistes chinois de Tchang Kaï-chek. Le 18 septembre 1931, une bombe détruisit une partie de la voie de chemin de fer japonaise près de la ville de Moukden (aujourd’hui Shenyang). Cet attentat, évoqué par Hergé dans l’album Le Lotus bleu des aventures de Tintin, fut attribué aux Chinois. Il fournit le prétexte pour lancer l’invasion, très bien préparée, du sud de la Mandchourie par l’armée japonaise. Puis la création, plusieurs mois plus tard, de l’État fantoche du Mandchoukouo sous l’autorité théorique du « dernier empereur » Pu Yi. Ce fut le début de l’expansionnisme du Japon dans toute l’Asie.Source