En matière d'assurance-chômage, la Cour des comptes dit tout haut ce que beaucoup craignent tout bas. Dans un rapport très critique sur l'efficacité des politiques de l'emploi, publié mardi 22 janvier, la Cour détaille la difficile équation que va devoir résoudre le régime d'indemnisation du chômage dans les prochains mois et les coupes auxquelles il va inévitablement falloir procéder. L'Unedic accumule en effet les déficits, aggravés par l'ampleur de l'explosion du chômage. L'organisme qui gère l'assurance-chômage devrait ainsi perdre 5 milliards d'euros en 2013, alors qu'il accumule déjà 13,7 milliards d'euros de dette fin 2012.
Lire aussi : L'assurance chômage prévoit 178 000 chômeurs en plus en 2013
"Une telle tendance apparaît insoutenable", résume Didier Migaud, le président de la Cour des comptes, en demandant aux partenaires sociaux, qui doivent négocier une nouvelle convention d'assurance-chômage en 2013, de prendre des mesures correctrices. Il ne fait pas de doute pour la Cour que ces mesures doivent d'abord concerner des économies sur l'indemnisation. "Si le régime a bien joué son rôle de maintien du revenu des demandeurs d'emploi, il voit désormais son efficacité se dégrader et son équité se fragiliser", estiment les rapporteurs.
DES SEUILS PARMI LES PLUS GÉNÉREUX D'EUROPE
Dans la ligne de mire de la Cour des comptes, les règles d'indemnisation, jugées particulièrement généreuses en comparaison avec les autres Etats européens. "La France figure parmi les pays d'Europe offrant l'un des accès les plus ouverts à l'indemnisation du chômage", précise ainsi le rapport.
Il suffit, par exemple, d'avoir travaillé quatre mois sur une période de référence pouvant aller jusqu'à vingt-huit mois pour pouvoir être indemnisé. Et la durée d'indemnisation peut aller jusqu'à deux ans pour un chômeur de moins de 50 ans. Des seuils parmi les plus généreux d'Europe.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Le système français "couvre les salariés les plus précaires, mais réserve aussi le plus haut niveau de protection aux salariés les mieux insérés dans l'emploi", estime la Cour, qui pointe justement dans son rapport l'inéquité de l'ensemble des politiques de l'emploi en France, souvent plus favorables aux personnes les plus proches de l'emploi au détriment des jeunes et des précaires qui ont nettement plus pâti de la crise.
Selon la juridiction, les indemnités chômage sont, de surcroît, insuffisamment dégressives. Ainsi, un salarié français qui touche le salaire moyen, soit environ 2 000 euros, bénéficiera d'un taux de remplacement, toutes prestations sociales confondues, de 66,4 % de son salaire, un niveau inférieur à celui d'un salarié gagnant 4 000 euros (68,3 %) ! Or, dans la plupart des autres pays européens, le taux de remplacement est plus faible pour les salaires les plus élevés. De plus, en France, l'indemnité maximum peut aller jusqu'à 6 161,29 euros par mois, un record absolu en Europe, ce qui "pose question en terme d'équité".
Sans parler du régime des intermittents du spectacle, "sans équivalent à l'étranger", qui creuse le déficit de l'assurance-chômage d'un milliard chaque année. Ou de celui des travailleurs intérimaires (1,7 milliard d'euros de déficit en 2011) et dont les règles favorisent, selon le rapport, le dualisme du marché du travail entre CDI et précaires. La Cour demande des réformes d'urgence de ces deux régimes spécifiques et l'instauration de cotisations plus élevées pour les contrats précaires – une évolution prévue dans l'accord sur l'emploi conclu le 11 janvier, que la Cour n'a pas été en mesure d'évaluer.
Pour ne rien arranger, Pôle emploi, absorbé dans sa fusion, a été inefficace pour favoriser le retour à l'emploi, et donc faire baisser les indemnités à verser. "La crise est intervenue sans qu'une réflexion suffisante ait pu être entreprise sur les moyens propres à accélérer la vitesse de reclassement des demandeurs d'emploi", résume diplomatiquement la Cour en notant toutefois que l'organisme prévoit désormais de concentrer ses efforts sur l'accompagnement des chômeurs qui en ont le plus besoin.
PRÉVOIR UN SYSTÈME SIMPLIFIÉ
Le constat de la Cour est d'autant plus sévère qu'en parallèle elle estime que l'assurance-chômage n'a pas forcément bien réagi face à la crise. La part des chômeurs indemnisés est ainsi passée de 48,5 %, en 2009, à 44,8 % en 2011, même si le chiffre est contesté par l'Unedic dans sa réponse, qui s'appuie sur une autre définition. Le développement de l'activité réduite des chômeurs a pu également être favorisé par la possibilité de cumuler l'indemnité chômage avec un salaire, estime la Cour.
Lire aussi : Un tiers des chômeurs exercent une activité à temps réduit
Enfin, le système de minima sociaux (le RSA, revenu de solidarité active, et l'ASS, allocation spécifique de solidarité) est mal articulé avec l'assurance-chômage et trop complexe pour les chômeurs. "Ce système peut conduire à des ruptures de prise en charge des demandeurs d'emploi", relève le rapport, en notant que plus de 600 000 demandeurs d'emploi ne touchaient ni assurance-chômage ni minima sociaux en 2010.
La Cour se demande s'il ne serait pas possible de prévoir un système simplifié avec "un socle constitué de la prestation de solidarité auquel viendrait s'ajouter (...), pour une durée variable, une prestation d'assurance", versée par l'Unedic.
Une idée "séduisante en première analyse", estime le ministre du travail et de l'emploi, Michel Sapin, dans la réponse qu'il a adressée à la Cour. L'Unedic, jalouse de son indépendance, est nettement plus réservée, parlant de "dispositifs aux logiques différentes".
Jean-Baptiste Chastand
SOURCE: LEMONDE.FR