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C'était dans les années soixante dix, il y a donc plus de quarante ans, je naviguais seul à bord d'un voilier et j'ai fait escale dans une des îles du ponant. C'était au printemps et j'étais le seul plaisancier du petit port où étaient mouillés de nombreux bateaux de pêche. Le soir après avoir mangé j'ai mis ma veste de quart et une casquette et je suis allé à terre me dégourdir les jambes et fumer une bonne pipe. Je me suis promené sur le quai, il n'y avait personne. Il devait être environ vingt heures et à cette heure là sur les îles comme sur le continent on mange ou on regarde la télévision.
En arrivant sur la jetée j'ai vu un homme qui me paraissait très âgé qui regardait la mer. Il était vêtu d'un caban et d'une casquette de marin. Quand je suis arrivé à sa hauteur je lui ai dit bonsoir, il m'a rendu mon salut et nous avons échangé quelques paroles sur la situation météorologique. Il m'a dit que certainement le vent allait rester au suroît quelques jours, que le baromètre était "haut" donc il n'y avait pas de risque de coup de vent et que le beau temps allait rester encore quelque jours. J'étais entièrement d'accord avec lui et c'était en gros ce que venait de diffuser la météo marine qui donne un bulletin tous les soirs à 19 heures 33 sur Radio Conquet. Puis il m'a demandé si c'était à moi le Yacht ( il prononçait yacht comme il faut, c'est à dire à la germanique et non pas "yote" comme on dit dans les clubs houses huppés des sociétés de régates) qui était dans le port. Je lui ai répondu par l'affirmative, il m'a posé beaucoup de questions, quelle était sa longueur, son tirant d'eau, sa surface de voilure et beaucoup de question concernant la marche du bateau, s'il remontait bien au vent, s'il se comportait bien dans la brise etc..etc.. C'est avec beaucoup de plaisir que je lui répondais et je voyais bien que je m'adressais à un homme de la mer. A mon tour je lui ai demandé s'il avait navigué lorsqu'il était en activité, il m'a dit qu'il avait commencé la pêche sur un voilier lorsqu'il était jeune. On naviguait à la voile me dit il et lorsqu'il n'y avait pas de vent on sortait les rames. Il y avait bien un moteur sur le bateau mais ils le mettaient en marche uniquement pour rentrer au port. Ça leur permettait de rester sur les lieux de pêche plus longtemps mais il fallait quand même arriver au port rapidement car à la criée le poisson était vendu en respectant l'ordre d'arrivée des bateaux. Puis il m'a parlé de ses années militaires effectuées dans la "Royale" comme tous les inscrits maritimes puis ensuite il a navigué quelques temps dans la marine marchande pour terminer sur un bateau de l'administration, je ne me souviens plus si c'était sur un câblier ou un baliseur.
En retraite depuis quelques temps il se consacre à la pêche. Il m'a montré son bateau, un canot breton en bois, de cinq mètres environ, il m'a même proposé de l'accompagner relever ses casiers le lendemain. J'ai refusé l'invitation car à cause des courants il fallait que je parte avant la reverse de la marée.
On s'est quitté fort tard, je lui ai promis que nous irons à la pêche ensemble la prochaine fois que je ferai escale dans son île. J'y suis retourné plusieurs fois dans ce petit port insulaire, seul ou avec un équipage, je n'ai plus jamais revu cet ancien marin.
Aujourd'hui je pense à lui, et je lui dédie ce texte.
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