Il a ému François Mauriac, été mis en musique par Gabriel Fauré, chanté par Julien Clerc, mais a pourtant été "oublié": Jean de La Ville de Mirmont, poète bordelais au destin brisé à 27 ans à la Grande guerre, connait à l'approche du centenaire de sa mort un regain d'intérêt que sa ville natale devrait sceller dans la pierre. [Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]
"Vaisseaux, nous vous aurons aimés en pure perte / ... / Je suis de ceux dont les désirs sont sur la terre / Le souffle qui vous grise emplit mon cœur d'effroi / Mais votre appel, au fond des soirs, me désespère / Car j'ai de grands départs inassouvis en moi".
Pour ses admirateurs, De La Ville aurait pu être l'un des "grands" du XXe siècle. Ses vers jouent une musique de désenchantement, une mélancolie, et à la fois une ferveur, une quête, non sans évoquer Baudelaire.
Avec, aussi, un court et unique roman à compte d'auteur, "les Dimanches de Jean Dézert", tiré de son expérience de fonctionnaire à la préfecture de la Seine. A la fois poignant et drôle, où le héros pousse ennui et médiocrité jusqu'à planifier son suicide un dimanche "afin de ne pas manquer son bureau". Et le rate.
"Il avait un génie propre, une voix assez unique", explique à l'AFP l'écrivain-journaliste Jérôme Garcin, séduit par une double verve: "d'un côté le romantisme du poète, sa quête jamais assouvie d'horizons, un authentique spleen, aux accents néo-baudelairiens. Et puis, au contraire l'ironie sourde, parfois cynique, du romancier frappant par son incroyable modernité".
Sa brève œuvre "est pourtant passée tout près de l'oubli, si sa mère n'avait publié ses vers trouvés dans son appartement après sa mort", raconte Michel Suffran, écrivain-historien bordelais épris de De La Ville comme d'un "écrivain fraternel". Il a réédité son oeuvre en 1992, et milite pour que sa mémoire ne soit pas "le fait de quelques érudits". "Un romancier d'avenir"
Car les mots de De La Ville touchèrent quiconque les croisa. En 1921, ses poèmes "L'Horizon chimérique" inspirèrent à Fauré quatre mélodies pour chant et piano. Mauriac, comparse d'université devenu ami à Paris, célébra ce "jeune homme éternel". Et dans un album en 2000, Julien Clerc composa un "Horizon chimérique" emprunté au poète-soldat.
Qu'aurait été l’œuvre de De La Ville, si le sergent n'avait été enseveli, nuque brisée par un obus, le 26 novembre 1914? "Nul ne peut dire, bien sûr, avance Suffran, qui relève que l'homme, pudique, qui n'avait jamais publié ses vers, n'aurait peut-être plus écrit".
Garcin pressent que le romantique en De la Ville "n'aurait sans doute pas survécu à la boucherie de 14-18; le poète des îles inatteignables aurait été renforcé dans sa noirceur. Par contre l'auteur des Dimanches, par sa modernité, son incroyable précocité intellectuelle, aurait sans doute été un romancier d'avenir".
"Surtout, la narration qu'il aurait faite de cette guerre, de ce qu'il y avait vécu, aurait donné un texte inouï", songe Garcin, fasciné par "la plénitude des vies brèves" comme celle de De La Ville. Et qui vient de publier un roman, "Bleus horizons", sur un ami imaginaire de l'écrivain-soldat, hanté par la mort de celui-ci à la guerre.
Certes la force de l’œuvre de De la Ville, conviennent ses fans, tient aussi au destin tragique, un peu à l'instar d'Alain-Fournier, l'auteur du Grand Meaulnes).
Mais 2014 devrait voir redécouvrir le poète-soldat. A Paris la BNF lui redonnera voix à l'exposition "Été 1914". Et Bordeaux réfléchit à un hommage qui pourrait voir ériger sur les quais un monument portant des vers du "voyageur inassouvi". La cité a déjà une rue De la Ville, mais au nom... du père, linguiste éminent et élu.
"Il était temps. Il faut que les villes aient de la mémoire, même si les hommes en ont plus ou moins", médite M. Suffran. Séduit par l'idée qu'à l'image des navires qui quittaient Bordeaux, échappant à De la Ville, son œuvre puisse, un siècle après, prendre un cours par lui jamais soupçonné.
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